vendredi 26 mars 2010

sur les chemins de Baekdusan 3 백두산이야기

III/ Baekdusan comme lieu touristique: « de l'espace regardé à l'espace consommé » (JP Lozato, 1985)

Le paysage est le principal facteur de l'activité touristique: une plage, une montagne, un lac sont devenus des symboles d'activités touristiques. Le paysage touristique passe du statut de décor à celui de nécessité (Lozato J.P, 1985). L'approche concrète du terrain nous amène à considérer Baekdusan comme un espace touristique, puisque la population observée est bel et bien constituée de touristes sud-coréens. Un espace touristique fait le lien entre les représentations et les pratiques de l'espace: les pratiques touristiques vont témoigner des différentes représentations que les touristes coréens ont de la montagne Baekdusan, sans oublier que ces représentations vont s'ajuster en fonction de l'espace.

A. l'espace touristique comme espace représenté: « l'inconnu connu » (Amirou)
Avant d'être pratiqué, l'espace touristique est aussi un espace représenté, un espace imaginé: « les espaces touristiques sont avant tout imaginaires car ils sont achetés loin du lieu de consommation et souvent longtemps à l'avance sans la présence du produit en tant que réalité physique »(Gaïdo cité par Y.André 1998). Les touristes ont une certaine connaissance de l'endroit où ils vont: principalement par le biais des représentations collectives et par celui des images que véhiculent les agences de voyage. Les représentations collectives d'un lieu tel que Baekdusan dont nous avons parlé dans la partie précédente s'enrichissent et se modifient au fil du temps, que cela soit du fait de l'actualité nationale et internationale ou des récits, des impressions, des photos et films que les touristes ramènent de leur voyage. Enfin, l'image du lieu touristique est fortement influencée par l'utilisation qu'en font les agences de voyage. Il va de soit que ces dernières ajustent leur produit selon les besoins et les attentes des touristes, mais elles les influencent aussi en retour. Ainsi des séjours thématiques incluant une visite de Baekdusan sont proposés par les professionnels du tourisme: en effet, même si le voyage a pour destination principale la montagne Changbaishan en Chine, les touristes ont le choix de visiter la capitale chinoise avec des sites touristiques classiques comme la cité interdite ou la grande muraille, ou bien de se rendre sur la rivière Domen (Tumen) ou celle de Amnok (Yalu) qui longent la frontière entre la Chine et la Corée du Nord, deux rivières qui entrent dans la liste des « territoires disparus ». En faisant le choix de leur séjour, les touristes espèrent faire le voyage qui corresponde à leurs représentations.

B. L'espace touristique comme espace consommé

La visite touristique apparaît donc comme une rencontre entre l'espace réel et l'espace imaginé, selon les représentations antérieures à la pratique dont nous avons traité dans les parties précédentes, doublées des attentes qu'un touriste peut avoir des infrastructures et des facilités qu'offre un site touristique. Les touristes passent donc d'une connaissance sensible ou intellectuelle de l'espace à une connaissance empirique. Pratiquer un espace, c'est une manière de se l'approprier, la prise de possession de l'espace par le touriste est un thème récurrent dans les études sur les pratiques touristiques et leurs effets sur l'espace et la vie locale: « le tourisme est aussi une forme de conditionnement, d'utilisation et finalement d'appropriation de l'espace »(O.Lazzarotti, 1994).
La pratique la plus courante et commune à tout touriste est bien la contemplation: regarder, admirer les monuments, la vie locale, les paysages, etc. Le touriste voyage pour voir, armé d'un matériel indispensable : l'appareil photo, qui prolonge ce regard porté sur le lieu touristique. Le touriste est consommateur d'images et son expérience de l'espace, cet espace déjà connu avant d'être pratiqué, prend la forme d'une vérification: vérifier que l'image récurrente de Baekdusan dans les représentations collectives est bien la même en « vrai ». Ceci expliquerait pour l'équipe MIT (2002) la prise de la même photo, sous le même angle, des principaux lieux touristiques. La photo est une « appropriation symbolique de l'image », le touriste cherche à « posséder l'image pour s'approprier le monde » (Berque, 1995). Si l'on considère Baekdusan comme paysage, prendre une photo relèverait comme dit Michel Conan (1994, Sous la direction d'A. Berque) « d'une certaine conception historique de la beauté ». Mais si l'on considère Baekdusan par ses valeurs développées dans la première partie de ce protocole, on peut se demander en quoi cette pratique de l'espace n'est pas une manière pour ces touristes coréens de le revendiquer. Il y a une valeur symbolique dans la pratique-même de l'espace. Paradoxalement, les frontières sont des lieux où les peuples sont les plus proches physiquement, en se rendant sur Baekdusan, les touristes sud-coréens opèrent un rapprochement avec le nord. Les pratiques pourront alors renvoyer à une forme de pèlerinage tel qu'on peut le voir dans des hauts-lieux, elles pourront aussi s'apparenter à n'importe quelle randonnée en montagne, à la découverte d'un paysage grandiose, souvent très codifiés. Enfin, il s'agira peut-être aussi de pratiques touristiques standardisées, telles qu'on les retrouve sur n'importe quel site.

C. l'espace touristique comme espace aménagé

Comme le montre J-P Lozato (1985) entre autres, « les paysages touristiques (…) sont avidement regardés mais aussi profondément aménagés pour être mieux regardés »: l'aménagement d'un paysage se fera selon des normes esthétiques et culturelles, selon une certaine conception du paysage. Cette interrelation entre espace et représentations ne se limite pas au cas du paysage, il en est de même pour un espace vécu, un lieu touristique, etc. L'homme organise son espace selon les représentations qu'il en a. Un slogan révolutionnaire maoïste dictait: « il faut forcer la montagne à donner des céréales ». Quelques siècles plus tôt, un poète chinois Chen Renxi, cité par Berque(1995) disait: « ils ne virent que dans l'enveloppe corporelle de ces monts,et non leur âme. Quelle honte! Si c'est cela, se promener sur une montagne, autant ne pas s'y promener! ». Quelles que soient les représentations antérieures de la montagne, sa valeur de paysage ou d'espace sacré, c'est bel et bien la représentation du moment, du groupe dominant qui possède officiellement le territoire, qui viendra modifier l'espace. Dans son article « Les impacts anthropiques dans les parcs nationaux chinois: approche géographique », Guillaume Giroir (2007) note:« la déforestation et le remplacement des anciennes forêts de pins de Corée par des plantations à croissance rapide au sein du parc national de Changbaishan (…) a contribué, avec le braconnage, au déclin du tigre de Sibérie ». Baekdusan est un lieu de mémoire, à forte valeur identitaire pour les Coréens mais situé en Chine, la présence d'une station de ski, ou d'autres infrastructures touristiques correspond-elle à la représentation que se font (se faisaient) les touristes coréens de cette montagne?
Tout comme les touristes sud-coréens qui ne sont encore jamais allés sur Baekdusan, notre connaissance du terrain est issue de lectures ou de récits que nous avons pu lire ou entendre, sa pratique concrète nous permettra certainement d'avoir une vision plus juste de l'aspect touristique de la montagne. Avec cette dernière partie, le lien est fait pour présenter la problématique de ces recherches.
pour citer cet article ou me contacter: lilinari1979@yahoo.fr

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