mercredi 10 février 2010

Sur les chemins de Baekdusan 1 백두산이야기


Baekdusan multiple: Baekdusan comme montagne, paysage,lieu touristique,haut-lieu fondateur de l'identité coréenne...Baekdusan symbole de réunification.
"동해물과 백두산이 마르고 닳도록
Jusqu'à ce que s'assèche la mer de l'Est et que Baekdusan s'use
하느님이 보우하사 우리나라 만세
Le Ciel nous protègera , vive notre pays!"

Ces deux lignes écrites en 1896 sont les premières de l'hymne national sud-coréen adopté en 1948. En 1896, la Corée est une, en 1948 elle se sépare: si j'ai choisi d'introduire ce second protocole par les mêmes lignes que le premier, c'est que leur pertinence me semble encore plus évidente maintenant que mes recherches ont avancé. En effet, si l'on replace ces deux dates dans leur contexte historique, deux interprétations peuvent être avancées: l'une est de considérer qu'en 1896 la Corée était déjà sous domination japonaise, puisqu'en 1894 est signé un traité militaire entre la Corée et le Japon, quelques années plus tard, en 1910, le Japon annexe la péninsule coréenne. Cette occupation japonaise suscite des protestations, des mouvements nationalistes qui cherchent à affirmer ou réaffirmer l'identité coréenne à travers notamment des slogans et des chansons, telle que celle qui deviendra plus tard l'hymne national coréen où se retrouve l'évocation de la patrie comme territoire uni et menacé. L'autre interprétation, liée à la première, s'attache à la date de 1948, qui correspond à la création de l'état Sud-coréen, en d'autres termes, à la séparation des deux Corées: pourquoi choisir un hymne national évoquant une montagne (Baekdusan) qui n'appartient plus au territoire national?
Les deux premières lignes de l'hymne national coréen soulève donc les points essentiels que nous souhaitons aborder dans notre sujet de recherche: elles montrent la forte valeur identitaire d'un espace géographique qui sert d'outil de revendication face aux menaces de domination, et elles témoignent d'une représentation collective du territoire qui est toujours d'actualité en Corée du sud, à savoir celle d'une Corée réunifiée.

I/ D'un territoire représenté à une montagne prise comme symbole identitaire: Baekdusan comme frontière ou comme pont?

Comment un lieu devient-il un symbole identitaire pour toute une nation? Comment un espace est-il approprié par des groupes pour faire partie de leur territoire, réel ou imaginaire? Tel que le montre Guy Di Méo(Les territoires du quotidien, 1996, p.40):l'appropriation se fait par une série de processus complexes « à la fois économique, idéologique et politique (…) par des groupes qui se donnent une représentation particulière d'eux-mêmes, de leur histoire »et, faudrait-il ajouter, de leur espace. Baekdusan n'a pas toujours figuré sur les cartes coréennes, elle n'a pas toujours été non plus une frontière, et elle n'a pas toujours été un symbole pour le peuple coréen. Cette évolution s'explique par l'instabilité des frontières nationales, les conflits frontaliers mais aussi par une certaine représentation du territoire national: « l'espace devient territoire lorsque lui est affecté du sens »(Yves André, 1998). Avant de considérer cette évolution et l'utilisation des cartes et de la géographie traditionnelle coréenne à des fins de revendications identitaires nationales dans l'histoire de la Corée et de nos jours, ainsi que l'apparition de Baekdusan comme haut-lieu, il nous semble important de faire le point sur la notion de représentation collective.

A. Perception et représentations de l'espace
Pour chaque individu, la perception d'un espace ne se fait pas de manière directe. En effet, le rapport à l'espace se fait sur la base de la nécessité pour l'homme de s'adapter à l'environnement qui l'entoure, « il faut s'y ajuster, s'y conduire, le maîtriser intellectuellement ou physiquement, identifier et résoudre les problèmes qu'il pose. C'est pourquoi nous fabriquons des représentations »(Jodelet, 1993). Quand ces représentations, ces codes permettant de décrypter l'environnement, sont partagés par une même société ou un groupe, ce sont des représentations collectives.
La géographie se divise en général en trois domaines: la nature de l'environnement, la perception et la représentation du milieu et enfin l'action humaine qui modifie son espace (Jean-pierre Paulet, 2002). Parler de représentation en géographie signifie baser sa réflexion et ses recherches sur le rapport sensible de l'homme avec son environnement, c'est l'idée « que l'espace des hommes n'est pas objectif, ni rationnel (…): il est une reconstruction mentale »(Yves André, 1998). Ainsi, la perception se distingue de la représentation en tant qu'elle est une observation vécue et immédiate: la perception est en fait la base sur laquelle viennent se fixer les représentations. On ne peut percevoir un objet qu'en sa présence, contrairement au processus de représentation qui permet d'évoquer des objets mêmes si ceux-ci ne sont pas perceptibles. Distinguer perception et représentation sous-entend qu'il existe un espace réel et un espace représenté, à travers des « filtres » ou des « grilles de lecture » (Claval, 2003). Cette distinction soulève une difficulté insurmontable pour le géographe à la recherche de la réalité d'un espace, puisque d'après cette théorie ce que le chercheur perçoit lui-même est filtré par ses représentations. D'autres théories telles que les conceptions idéalistes quant à elles nient l'existence-même de l'espace indépendamment du processus intellectuel, dont la «logique transcendantale » de Kant. Yves André préfère considérer que la représentation « se nourrit du réel et de l'imaginaire, elle 'est' le réel et l'imaginaire, il y a toujours de l'un dans l'autre ». Les représentations collectives sont donc des connaissances communes sur le monde, une façon de concevoir l'espace que partage une même société ou un même groupe, « des créations sociales (...)de schémas pertinents du réel », (Guérin, 1989 cité par Y.André 1998) pour citer la définition « officielle » de ce concept. Les représentations collectives font par conséquent parti du processus de construction identitaire d'un groupe: l'appartenance à un groupe se définira aussi par des représentations communes de l'espace.
Notre travail de recherche s'appuie sur des représentations collectives de la montagne Baekdusan par des Sud-coréens: l'emploi de l'article indéfini « des » nous permet de souligner la nature non-exhaustive de ces recherches. Les parties B et C se basent sur les représentations collectives des sud-coréens de la montagne les plus répandues, ou du moins les mieux diffusées en Corée et au niveau international.

B. Reconstruire le passé en partant du présent (Halbwachs): représentation du territoire et construction d'une nation
« Le territoire résulte (…) de l'appropriation collective de l'espace par un groupe »(Claval, 1995), cette appropriation se fait d'un point de vue politique, social et symbolique. Par ailleurs, poser la question du territoire national coréen renvoie à celle de l'identité nationale: « il ne peut y avoir d'identité sans référent spatial, réel ou imaginaire »(Claval, 1995). Sans espace, pas d'identité; et sans identité, pas de territoire. Ainsi, l'identité coréenne se construit sur la base entre autre d'une représentation collective et symbolique d'un territoire commun. Cette représentation se construit quant à elle en référence au passé, à une mémoire collective. Or, la mémoire collective, comme nous le dit Halbwachs (1950), « procède à des relectures de l'histoire selon les nécessités du passé »: si Baekdusan existe donc de nos jours comme symbole dans la mémoire collective coréenne, c'est que des choix ont été faits. Ce sont en particulier les représentations collectives que le peuple coréen a de son territoire qui en construisent les frontières, réelles ou imaginaires. Dans ces représentations, Baekdusan, lieu de mémoire, haut-lieu, semble être le symbole de la réunification: il fait un pont entre le passé et l'avenir du peuple coréen dans son ensemble, frontière contestée d'un « territoire disparu ». (une série de documentaires historiques financée par la compagnie KTF avait pour titre: « à la recherche de notre terre disparue », avec le premier épisode consacré à Baekdusan1).

a. Baekdusan comme frontière ou comme pont?
Les cartes, quel qu'en soit leur degré d'objectivité affiché, témoignent d'un « certain regard de l'homme sur le monde » (Bernard Debarbieux, Martin Vanier, 2002), elles sont d'excellents témoignages des représentations que se font les hommes de leur territoire au cours de l'histoire. Depuis les années 90, on assiste à un regain d’intérêt en Corée du Sud pour la géographie traditionnelle, discipline que l'on pourrait rapprocher du Fengshui chinois: l'espace est conçu selon l'agencement des éléments naturels, et en particulier pour la géographie traditionnelle coréenne en fonction des rivières et des montagnes. Cette géographie traditionnelle n'est pas sans lien direct avec les croyances populaires, et la conception de l'organisation du monde et de la nature héritée des cultes chamaniques, très ancrés dans la vie quotidienne des Coréens. Nous avions déjà évoqué la signification des montagnes pour ces croyances dans notre protocole 1. Ainsi les chaînes de montagne constituent l’armature de la péninsule: la plus grande, souvent comparée à la moelle épinière de la Corée, s’étend du nord, c’est-à-dire de Baekdusan (Changbaishan), au sud, à Chirisan. Ces cartes qui datent du 16ème siècle ont été utilisées par les nationalistes coréens sous l’occupation japonaise au début du 20ème siècle, en réponse à des études géologiques menées par les Japonais. Ces premières études japonaises de la géographie coréenne datent de 1904 et sont menées par le géologue Kotô. En se basant sur la constitution géologique de la péninsule, ses études scindaient la Corée en deux et ne faisaient plus paraître la continuité de la chaîne de montagne du nord au sud. Comme nous le voyons ici, la représentation du territoire par des cartes constitue un enjeu identitaire fort, elle permettait sous l’occupation japonaise de contester la vision du colonisateur et de se réapproprier son territoire. Avec l'ouverture de la Corée du sud au monde et à la géographie occidentale, ces conceptions avaient quelque peu disparues, jusqu'à réapparaître dans les années 80 et faire l'objet de nombreuses études dans les années 90. De nos jours, les chercheurs coréens (notamment Jin Jeong-Heon, 2004) expliquent le regain d’intérêt pour cette représentation du territoire (avec la réapparition sur les cartes de la chaîne de montagne du nord au sud appelée Baekdutaegan) par une revendication identitaire. Il y a d’une part cette ancienne querelle avec la Chine autour des frontières, qui datent du 18ème siècle: en 1712 en effet fut érigée une stèle au sommet de Baekdusan pour définir le tracé de la frontière entre la Chine et le royaume coréen. Toutefois, au lieu de clarifier la situation, cette stèle fait l'objet de controverses, car son interprétation, en particulier au niveau du nom des lieux, ne fait pas l'unanimité. Selon certains chercheurs coréens, donc, les inscriptions sur la stèle indiqueraient que Baekdusan dans son ensemble appartiendrait au territoire coréen. Mais derrière ce regain d'intérêt pour la géographie culturelle coréenne, il y a aussi, et c’est vers là que je souhaite diriger mes recherches, l’idée de réunification. En effet, concevoir le territoire coréen comme un tout allant de Baekdusan (dans son ensemble ou partagé) à Chirisan, c’est sous-entendre l’unification de la péninsule. Une enquête (Kang Won-Tack, 2000) menée au sujet de la montagne KumGang san qui se situe en Corée du nord et qui accueille des touristes sud-coréens dirigeait ses questions en ce sens. Il était demandé en quoi l’ouverture de cette montagne aux touristes sud-coréens pouvait améliorer les relations Nord-Sud. En ce sens donc, il est nécessaire de manier avec prudence le terme de nationalisme, car si l'utilisation de Baekdusan est de l'ordre d'une revendication nationaliste de nos jours, la nation ici serait la Corée réunifiée. Il y a en effet en Corée une très forte conscience d'appartenir à l'identité coréenne, une cohésion imaginaire de la nation (d’où la pertinence de l'idée de "communauté imaginée" pour le cas coréen, selon les termes de Benedict Anderson, 1991). Baekdusan, pris comme symbole d'un territoire réunifié, se construit aussi sur un mythe fondateur de la nation coréenne dont ont recours le Nord et le Sud, de manière officielle: le mythe de la naissance de Tan’gun, premier fondateur de la Corée, né en 2333 avant JC sur Baekdusan. C’est une tentative, pour reprendre le vocabulaire de Hobsbawn (1983) de créer une continuité historique artificielle pour effacer le traumatisme laissé par la séparation du territoire en deux. L'existence de cette légende fait de Baekdusan un haut-lieu.

b. Baekdusan comme haut-lieu et lieu de mémoire
Comme le souligne Jean-Luc Piveteau (1995), « une mémoire doit s'incarner » pour survivre dans le présent et pouvoir être réactualisée. Le territoire dans son ensemble, comme nous l'avons vu dans les parties précédentes, soutient cette mémoire collective, mais certains lieux peuvent être choisis comme symboles du territoire, et par là-même de l'identité collective: ce sont les hauts-lieux, ou lieux de mémoire. Il s'agit toutefois de distinguer haut-lieu et lieu de mémoire, ce dernier renvoyant en effet à des événements de l'histoire plus qu'à des légendes ou des mythes, comme c'est plus souvent le cas pour les hauts-lieux. Le terme « haut lieu » n'apparaît en géographie que dans les années 90 seulement avec des auteurs tels que B. Debarbieux (« Le haut lieu est un élément d’un système d’expressions territorialement matérialisées d’un système de valeurs »,1995.), P. Gentelle ou J-L. Piveteau, on pourrait en donner aussi une définition en empruntant celle que fait Bonnemaison (Voyage autour du territoire, 1981, cité par Guy Di Méo, 2002) du « géosymbole »: « un lieu, un itinéraire, une étendue qui, pour des raisons religieuses, politiques ou culturelles prend aux yeux de certains peuples et groupes ethniques, une dimension symbolique qui les conforte dans leur identité ». Le haut lieu est souvent associé à une religion ou une croyance, à une force surnaturelle que l'on attribue à un lieu naturel, ainsi, tel que leur nom l'indique, les hauts lieux sont géographiquement élevés, les montagnes en sont un exemple type. Baekdusan est donc à la fois un lieu de mémoire qui fait appel au souvenir douloureux de la séparation des deux Corées (les sud-coréens ne peuvent visiter que le côté chinois de Baekdusan) et un haut lieu sacré qui fonde l'identité coréenne.
Cette première partie nous a permis de mettre à jour le processus d'identification et d'appropriation du territoire par une série de représentations collectives qui s'inscrivaient dans la mémoire du peuple coréen. Baekdusan apparaît comme symbole, lieu et lien entre le passé et le futur de l'identité coréenne.

mardi 2 février 2010

un visiteur du Sud


Festival d'Angoulême oblige, j'ai fait un tour des BD. Et là mon oeil entraîné est tombé sur un nom qui sonnait drôlement bien coréen. Renseignements pris, j'apprends que l'auteur sera à Poitiers le lendemain. Hasard hasard, ma vie est pleine de joyeux hasards et au bout d'un moment je ne m'en étonne plus.
Ho Yeong-jin est un Sud-coréen qui a été embauché il y a dix ans en Corée du nord sur un chantier de canalisation pour superviser un peu les manoeuvres. Il avait pour tâche entre autres de vérifier la qualité des briques.Briquettes ou pas, ce jeune homme fraîchement sorti du rouleau éducatif coréen où on lui inculque la méfiance du frère maudit nord-coréen découvre un pays ma foi pas si mal, avec il est vrai des "différences culturelles" et des choses à respecter (on ne dit pas KJI mais "le soleil du 21 ème siècle" ou "le cher général"...). C'est donc il me semble un regard intéressant sur la Corée du nord d'un point de vue sud-coréen, sans de blabla politico-moralisateur sur la réunification. Le tome 2 que je n'ai pas lu raconte les péripéties de Monsieur Oh pour faire entrer en Corée du sud ses notes prises sur le terrain.
Il a aussi sorti un livre en Corée "Pyong Yang Project" qui raconte la vie quotidienne des nord-coréens. ça doit être moins drôle, je sais pas pourquoi je dis ça.....
 
Locations of visitors to this page